Celso Fonseca sans langue de bois
Je rencontre Celso Fonseca pour vous à Rio. On se retrouve dans un restaurant thaïlandais plutôt chic de São Conrado. Autour de brochettes saté et de crevettes au lait de coco, nous passons deux heures ensemble, à parler de l’âme de la musique brésilienne, de sa collaboration avec Ronaldo Bastos, de la vie, de l’amour, du public, et de ses deux derniers disques : No Meu Filme, et Liebe Paradiso. Une interview exclusive.
Celso, raconte nous ta vie
Il n’y avait pas de musiciens dans ma famille. Je suis né dans la Zona Sul, d’une famille qu’on appellerait aujourd’hui de la classe « moyenne supérieure ». Mon père était médecin, Mes parents aimaient beaucoup la musique, toutes les musiques. J’ai grandi sans préjugé sur ce qui était bon et ce qui ne l’était pas. On écoutait Chet Baker, Dave Brubeck, Miles Davis, et les Beatles.
Je voulais être journaliste, et j’étudiais au PUC. Sorti des cours, je jouais de la guitare jazz. Jusqu’à ce que je rencontre Gilberto Gil… et qu’il m’invite à partir en tournée avec lui. Il n’a pas eu besoin de me le demander deux fois. Par la suite, j’ai beaucoup travaillé comme guitariste tous terrains avant de me mettre à écrire et à chanter.
J’ai compris que j’étais un compositeur quand j’ai rencontré Ronaldo Bastos. C’est lui qui m’y a encouragé, et il a bien fait – nous écrivons ensemble depuis 1980.
Qui fait quoi, entre Ronaldo et toi ?
On croit souvent que Ronaldo écrit les textes et moi la musique, mais c’est rarement comme ça que ça se passe. Nous écrivons ensemble. Du reste, dans les années 60, les auteurs écrivaient toujours ensemble. Vinicius de Moraes, par exemple, travaillait toujours en compagnie de son co-auteur du moment. 1+1=3. Bon, il faut dire aussi que Ronaldo Bastos est un des plus grands paroliers du Brésil. Il a collaboré avec tout le monde et pas moins de 800 de ses chansons ont été enregistrées !
Les talibans du style « pur »
Le Brésil est un continent de mélanges, et sa musique est faite à son image. Ce qui n’empêche pas qu’il y a des puristes, pour la bossa, pour la samba, le baião… mais ça n’a en réalité aucun sens, parce que la majorité des musiques ne sont pas pures. La bossa, association de la samba et du jazz. Les polkas polonaises dans le choro. Je pourrais multiplier les exemples. Même la pop du brésil – même Telô avec son tube (sourire entendu) qui présente un mélange de sertaneja et de caraîbe. On ne peut pas camper dans le passé. L’intérêt, c’est les rencontres, les associations, les mélanges. Le reste, c’est de l’idéologie. Les partisans de styles « purs » sont ni plus ni moins que des talibans !
C’est pour ça que tu as repris Ela so queira beijar (un tube de funk carioca, NDLR) ?
Oui. Feriado, comme son nom l’indique, était un album plutôt relax ! D’une façon générale, je garde ce que j’aime et j’oublie le reste. La musique c’et un peu comme la cuisine. On voit ce qu’on a dans le frigo, on connaît ses bases, on improvise, on donne à ceux qu’on aime.
J’apprécie les vieux standards de la MPB, j’aime toujours mes anciens morceaux, mais je n’ai pas envie de les ressasser en boucle, même si le public continue à les adorer. Pense aux « veuves de Chico Buarque » qui vont à ses concerts et sont désespérées qu’il ne chante pas ses succès des années 60… ! Comme Chico, je préfère regarder devant.
La musique, c’est l’art d’accomoder les restes ?
Il y a un peu de ça ! Et comme je ne sais pas cuisiner, je fais de la musique !
En fait, la musique, spécialement au Brésil, a été beaucoup orientée vers la danse. C’est sympa, mais je crois qu’il faut des musiques pour tout, comme disait Tom Jobim : de la musique pour aimer, de la musique pour rire, de la musique pour danser, et même de la musique pour aller se faire tuer au combat. Ma musique préférée, c’est celle qui sert à élever les âmes.
Parle-nous de ces deux disques sortis presqu’en même temps
Paradiso était le dernier album d’une trilogie qui comportait aussi Sorte et Slow Motion Bossa Nova. J’ai eu envie de faire une relecture de ce disque, pas sous forme de remix, mais en lui apportant une dimension nouvelle, plus riche. Nous avons repris les bandes originales, et avons procédé à un véritable re-engineering avec l’aide de Luiz Melodia, Nana Caymmi, João Donato, Marcos Valle, Margareth Menezes, Mart’Nalia, Rodrigo Maranhão……
No meu Filme, déjà mon quinzième album, est d’abord un hommage à un grand arrangeur brésilien : Lincoln Olivetti. Dans les années 80, presque toute la musique brésilienne passait par ses mains. On lui doit par exemple le Lança Perfume de Rita Lee, Luar de Gilberto Gil ou le disque de 1984 de Gal Costa, celui avec une pochette bleue (je pense que Celso veut parler de Profana)… Sans compter ce qu’il a fait pour Maria Bethania, Zizi Possi, Roberto Carlos, Tim Maia.
Par la suite, on a finit par le trouver « pasteurisé » et il disparut du paysage… jusqu’à ce que Kassin et Donatinho le tirent de l’oubli, voire de l’ostracisme, et l’appellent pour faire des shows avec lui (de même pour Lulu Santos et Ed Motta, NDLR). Pour moi, c’est un génie. Le son de Lincoln, je l’ai toujours aimé, alors j’ai voulu donner sa couleur à mon album « No meu filme », en collaboration avec Sergio Trombone.
Celso, No meu Filme est conceptuel du point de vue du son, mais manifestement aussi du point de vue du sens. Il semble qu’il raconte une histoire… personnelle ?
Tu as raison, c’est l’histoire des vingt ans passés à Leblon avec ma femme jusqu’à notre divorce et mon installation à São Conrado avec ma nouvelle compagne.
Quel est ton public aujourd’hui ?
Je suis plus connu à l’étranger qu’au Brésil. Les radios généralistes brésiliennes ne me programment pas. J’aime bien le public français. Il est chaleureux et attentif. Je me souviens des cinq rappels lors de mon concert à la Maroquinerie, pour le lancement de Natural. Ca été la même chose au Cirque d’Hiver. Cela dit, je prépare une tournée au Brésil… pour après le Carnaval, naturellement (rires).
Il y a un truc dingue pendant les concerts aujourd’hui, c’est la schizophrénie du public. Tout occupés à twitter ou à envoyer des SMS pour dire où ils sont, les spectateurs sont à la fois présents… et absents. Moi ça m’agace un peu. J’ai envie qu’ils prennent ce que je leur donne, qu’ils en profitent pour de bon, pas qu’ils se regardent écouter.
*
Ecoutez le son de No Meu Filme dans la chanson qui lui donne son nom.
Celso Fonseca a commencé sa carrière en 1981, dans le groupe de Gilberto Gil. Il participe comme guitariste à de nombreux spectacles avec Djavan, Caetano, Marisa Monte, Gal Costa, João Bosoco, Chico Buarque, Elza Soares… entre autres vedettes de premier ordre avec lesquelles il a accompli plus de vingt tournées internationales. Il est également producteur de certains disques de Vinícius Cantuária, du premier disque de Daúde, de Gilberto Gil (« O eterno deus Mú dança »), Daniela Mercury, Gal Costa…
Pour en savoir davantage sur Celso Fonseca, je vous recommande l’interview (en portugais) parue dans Rolling Stone Brésil en 2009 : http://www.rollingstone.com.br/edicao/edicao-63/entrevista-celso-fonseca
Le site de Celso Fonseca : http://www.celsofonseca.com.br/
Vous aimez ? Parlez-en à vos amis !
-
J’adore Celso Fonseca. Vous avez de la chance !
-
Cd: « No meu Filme » introuvable!! Itunes, fnac…Inconnu!
Dommage je suis fan! 😉
Commentaires