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BossaNovaBrasil | 21 novembre 2024

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João Donato, le lutin de la musique brésilienne

João Donato, le lutin de la musique brésilienne


Une maison face à la mer, à deux pas de l’ancien casino d’Urca. Je sors du taxi, je lève la tête : João Donato est à sa fenêtre. Je sonne. Dona Ivone, son épouse journaliste, m’accueille et m’invite à monter directement à l’étage. C’est ma première rencontre avec l’auteur acclamé de a Râ (the frog), Lugar Commum, Bananeira, Amazonas et tant d’autres tubes absolus de la musique brésilienne.

J’entre dans un salon encombré de livres, de disques, de meubles, d’objets. Un piano, bien sûr, mais aussi une impressionnante collection de grenouilles offertes par des fans de tous les pays. Deux sitars, un peu incongrus. Une vue magnifique sur la baie et la petite plage. Le maître est allongé dans un fauteuil relax. Pour un peu on croirait qu’il dort.

« Debussy, Ravel, ont eu une grande influence au Brésil, spécialement depuis Jobim » sont ses premiers mots, comme en hommage à ma nationalité française. J’en conviens, m’empare d’un tabouret branlant, et viens m’asseoir à ses côtés. Notre entretien va durer une heure.

BossaNovaBrasil : Alors que les musiciens de Rio inventaient la bossa nova, toi tu étais aux Etats-Unis en train de jouer du jazz latin. Qu’est-ce qui s’est passé ?

João Donato : Il y avait eu avant moi Laurindo Almeida et Carmen Miranda, mais j’ai quand même été un des premiers musiciens brésiliens à partir travailler aux Etats Unis. En fait, j’avais trouvé un engagement dans un casino du Lac Tahoe pour quatre semaines, avec Elizete Cardoso. Une fois là-bas, il y a une embrouille : j’apprends que je dois rembourser mon billet d’avion ! Du coup j’ai du continuer pour payer… et au bout du compte je suis resté dix ans.

Quand je suis arrivé aux Etats-Unis, le jazz était déjà à moitié mort. Il n’y avait plus que des petites salles, à peu près vides. Chômage pour tout le monde. Et moi je n’aimais pas trop leur style, élitiste, pas assez populaire. Il me fallait trouver autre chose pour subvenir à mes besoins – et vite.

Au même moment, il y avait une autre musique qui remplissait les salles et les restaurants. Avec Tito Puente, Mongo Santamaria, Eddy Palmieri et beaucoup d’autres, c’était le style cubain. Au début je trouvais ça un peu monotone, ces morceaux qui tournaient en boucle sur deux ou trois accords. Et puis je me suis dit : on ne fait pas une révolution tout seul. Et j’ai commencé à jouer du jazz latin.

Ton retour, au Brésil de la bossa nova, a t-il été difficile ?

Quand je suis rentré au Brésil après ces dix ans à l’étranger, j’ai découvert un tas de gens dont je n’avais jamais entendu parler, qui remportaient un succès fou. Les tropicalistes, Caetano, Gil, Edu Lobo, etc. Et moi j’arrivais de la lune. Alors je suis allé à la rencontre de tout le monde. J’ai vite trouvé ma place. Je suis fondamentalement un jazzman. Et ma branche c’est le jazz brésilien. Je suis très fier d’avoir obtenu un Latin Grammy en 2010 pour mon disque en trio (Best Latin Jazz Album).

Qu’est-ce qu’il y a de commun entre les rythmes caraïbes et la samba ?

Le point commun, c’est évidemment l’Afrique. Je suis allé plusieurs fois à Cuba, et là-bas on retrouve nos racines, le condomblé, la musica de santeria, les oraisons à Xangu, Oxala, Yemanja et les autres. On y chante en battant les mains à la manière des sambas de roda ou de chula de Salvador. Il n’y a que l’accent qui change : ici des surdos et des pandeiros, là-bas des congas et des bongos. L’espagnol au lieu du portugais.

Comment t’es venue cette manière si particulière de jouer du piano, à la manière d’un orchestre qui jouerait tutti ?

En fait c’est tout ce que je sais faire. J’ai assez peu étudié le piano. Mes influences, c’était George Scherring, Horace Silver. Le tutti est venu naturellement.
Là c’est João la Malice qui parle : à écouter son album sorti en 2010, « o piano de João Donato », il est clair qu’il s’agit d’un choix, d’un style, plus que d’une contrainte technique…

Quel autre instrument aimerais-tu jouer ?

J’adore le trombone. Je m’y suis mis un peu, il y a vingt ans, mais je n’ai pas insisté. Il faut une sacrée santé, la colonne d’air est difficile à maîtriser, alors que le piano, même un vieux monsieur peut en jouer !

Et si une fée te donnait le don d’un instrument ?

« Je choisirais la harpe. J’adore le son de la harpe, son amplitude, sa richesse. »
Je ne peux m’empêcher d’imaginer João Donato, avec son bidounet, ses chemises à fleurs et ses casquettes, aux prises avec une harpe. Il se marre aussi.

Pourquoi chanter ?

Les paroles sont très importantes, ce sont elles qui font voyager la musique, qu’elles soient ou non traduites : sans paroles, une musique ne devient jamais vraiment populaire.

Influences croisées

Sarah Vaughan, Chet Baker, Ella Fitzgerald… ont énormément influencé les musiciens brésiliens. Par la suite c’est la bossa nova qui influença les musiciens américains, en leur apportant des dizaines de nouveaux standards quand Tom Jobim, João Gilberto, Dorival Caymmi, Astrud Gilberto sont partis aux US. Et le cycle continue jusqu’à aujourd’hui. Le jazz latin a influencé l’électro, l’électro s’est emparé de la samba ou du brega… Aujourd’hui ces influences réciproques sont encore facilitées par internet, qui rend tous les styles accessibles à la découverte.

As tu déjà joué en France ?

Jamais. J’espère rattraper ça un de ces jours, pourquoi pas à Marciac. Je ne connais pas beaucoup de musiciens français, à part Michel Legrand bien sûr. Et aussi Jacqueline François, j’aimais bien Jacqueline François, jolie et douée.

Quels sont tes projets ?

C’est d’abord le lancement au Brésil du nouveau disque de Joyce (Moreno), déjà sorti en Europe et au Japon. Il y a un mélange de nos deux répertoires, plus des chansons que nous avons écrites ensemble. On a prévu une tournée au Brésil. Et puis je rêve de faire un album « Walking with Debussy Ravel », sans jouer leurs œuvres, mais en écrivant dans leur style, comme une évocation.

João, à quoi sert la musique ?

La musique sert à créer de la joie, aider à la compréhension, élever l’âme des gens. C’est un missionnaire des bonnes nouvelles. La musique a un pouvoir curatif, elle réanime les tristes, elle calme les nerveux – une vraie valeur thérapeutique.
Qui peut vivre sans musique ? A t-on déjà vu un film sans musique ? Un film sans paroles, oui, mais pas sans musique ! (rires)

Ivone revient pour me signifier gentiment la fin de notre entrevue. João se lève pour quelques photos – son épouse choisit une casquette pour lui et une pour moi. Nous continuons pourtant à deviser un bon moment. João me fait écouter le brûlot anti-flamands de Jacques Brel qui avait fait couler beaucoup d’encre : les Flamingands, dont le bed n’était autre que a Râ. João me raconte sa surprise quand quelqu’un lui a traduit les paroles… il n’en est pas encore revenu.

J’ai passé une heure merveilleuse avec un créateur, un musicien aussi simple que génial, aussi gentil que célèbre et aussi généreux que facétieux. Merci à lui, à Ivone Belem sa gracieuse épouse, et à Jean-François Pitet pour son briefing préalable.

Pour en savoir plus sur João Donato, je vous invite à lire les articles qu’Olivier Cathus lui a consacrés sur son blog L’Elixir du Docteur Funkathus.

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Commentaires

  1. Une légende vivante dans BNB, parabens ! T’as fait très fort. Super interview.

    Et, encore une fois, merci pour le lien.

  2. Nathalie D

    La chance !

  3. escale

    Merci pour cette interview intéressante du lutin Joao Donato. Voici sa fiche complète que je viens de publier aujourd’hui sur Wikipedia et dans laquelle je mentionne cette interview.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Jo%C3%A3o_Donato

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