Le dernier jour de la bossa nova
Le 31 mars 1964 marque la fin de l’ère bossa nova. Je ne parle pas du style musical, qui continue jusqu’à nos jours bien au delà des frontières du Brésil. Mais de la fin de cet espace-temps, de cette bulle d’espérance, d’insouciance, de jeunesse et de modernité qui avait commencé avec le président Juscelino Kubitschek et continué avec Goulart, tous deux démocratiquement élus et décidés à faire avancer le pays vers plus de justice sociale. Ce dernier jour de la bossa est aussi le premier de ce qu’on appellera bientôt la MPB.
Le musée de la République retrace dans le palais de Catete les quelques 122 années d’existence de la Republique Fédérale du Brésil. Il est surtout connu des écoliers pour la chambre où le président Getúlio Vargas s’est donné la mort en 1954 – le clou de la visite avec pistolet, pyjama troué et taché de sang à l’endroit de la balle, lettre d’adieu lyrique et téléphone en bakélite. Mais il contient aussi beaucoup d’éléments de l’histoire brésilienne, dont ceux qui retracent le coup d’état militaire et les vingt ans de dictature qui ont suivi.
Mis en place par la CIA – qui n’en a jamais fait mystère, tant il s’agissait pour les Etats-Unis d’une démonstration de sa force en Amérique Latine -, les généraux vont mener pendant cette période une politique qui mélangeait l’idéologie de Milton Friedman et le protectionnisme aux frontières. Pour faire court : les pauvres sont des paresseux, les profs des gauchistes, la richesse individuelle est la meilleure preuve de réussite, l’état doit se limiter à l’armée, la police et les affaires étrangères. Comme ça ne faisait pas plaisir à tout le monde, le régime dut durcir sans cesse la répression – jusqu’à ce que l’impéritie de ces généraux provoque la faillite économique d’un système pourtant longtemps qualifié de « miraculeux » par les bien-pensants !
Héritage de cette sombre période : un système scolaire public saboté, un système médical public impuissant, des favelas abandonnées sans poste de police (il est tellement plus médiatique de faire de spectaculaires descentes que d’installer des ilotiers à demeure), une corruption rampante, un système féodalo-fédéral qui laisse les habitants à la merci de roitelets locaux… et une dette colossale. Sans oublier les assassinats, les disparitions, la censure et l’exil.
Et la bossa alors ? Car je sens que je t’ennuie, lecteur mon frère, si prompt à râler sur ta situation et si lent à t’engager pour changer le monde. Et bien, dans un tel contexte, les artisans de la bossa nova suivirent des chemins divers. Les uns ne s’intéressaient pas plus à la politique que toi, au prétexte que celà ne les regardait pas. Ils continuèrent comme si de rien n’était, mais leur audience s’éroda petit à petit. Parmi eux Roberto Menescal, Marcos Valle, par exemple. La majorité n’envisagea pas de continuer à chanter l’amour, le sourire et la fleur quand les militaires torturaient dans les caves. Nara Leão, Caetano Veloso, Chico Buarque, Vinicius de Moraes, et tant d’autres, abandonnèrent la bossa pour inventer d’autres styles musicaux, et retrouvèrent rapidement à l’étranger les apolitiques qui y faisaient carrière : Tom Jobim, João Gilberto, Sergio Mendes, João Donato… Roberto Carlos ou Wilson Simonal continuèrent leur chemin, qui n’était pas celui de la bossa nova.
Le 31 mars 1964 sonna ce que les conservateurs d’aujourd’hui appelleraient toute honte bue « la fin de la récré ». La fin de la bossa nova – un mouvement qui n’aura duré que 6 ans, de Chega de Saudade au coup d’état militaire.
Nara Leão, la fameuse « muse » de la bossa nova, sort quelques mois plus tard l’album « Opinião » qui reprend les chansons de João do Vale et Zé Keti issues de la pièce d’Augusto Boal. En voici la chanson titre, qui n’a plus grand chose à voir avec la bossa nova qu’elle défendait quelques mois plus tôt.
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