Nichée entre les quartiers aisés de São Conrado et Gavéa, dans la zone Sud de Rio de Janeiro, Rocinha s’impose comme la plus grande favela du Brésil et d’Amérique Latine. Avec une population estimée entre 200 000 et 250 000 habitants, ce territoire enchante autant qu’il interroge. Notre exploration de ce lieu emblématique nous a permis de comprendre la complexité de cet espace urbain, ses dynamiques sociales et les défis auxquels il fait face. Après avoir visité plus d’une centaine de quartiers populaires à travers le monde, nous pouvons affirmer que Rocinha présente des caractéristiques uniques qui méritent d’être approfondies, notamment dans le contexte des transformations que connaît le Brésil comme pays émergent.
La visite de Rocinha : une immersion dans la plus grande favela brésilienne
Visiter Rocinha ne s’improvise pas. Cette favela dite « pacifiée » se caractérise par une structure labyrinthique impressionnante, particulièrement dans sa partie Est composée de becos, ces ruelles étroites qui s’entrecroisent. Lors de notre visite, nous avons opté pour un tour guidé avec un habitant local, une approche que nous vous recommandons vivement pour des raisons de sécurité et de compréhension du lieu.
Découvrez la plus grande favela d’Amérique Latine
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Le contraste est saisissant entre les différentes zones de la favela. La partie Ouest, plus rénovée et mieux équipée, accueille généralement les nouveaux arrivants plus aisés, tandis que la partie Est, plus précaire, est majoritairement habitée par les crias, natifs de Rocinha. Cette division territoriale illustre parfaitement le concept de « favela partida » (favela divisée), reflet miniature de la « cidade partida » qui distingue traditionnellement l’asfalto (la ville formelle) et le morro (la colline/favela).
Dès notre arrivée, la passerelle conçue par l’architecte Niemeyer nous accueille, symbolisant les efforts d’intégration urbaine. En progressant dans la favela, nous examinons une vie de quartier intense et vibrante où l’espace public fait office d’extension des logements souvent exigus. Cette occupation de la rue comme lieu de socialisation crée une atmosphère communautaire unique.
Pour visiter Rocinha dans les meilleures conditions, nous vous conseillons de choisir la saison sèche au Brésil, entre mai et septembre. Les fortes pluies peuvent rendre certaines zones difficilement accessibles et accentuer les problèmes d’assainissement, notamment dans les secteurs où persistent des égouts à ciel ouvert.
Zone de Rocinha | Caractéristiques | Population |
---|---|---|
Ouest | Plus rénovée, mieux équipée, présence UPP | Nouveaux arrivants, plus aisés |
Est | Plus précaire, becos étroits, territoire de faction | Crias (natifs), population traditionnelle |
Centre commercial | Commerces, services, banques | Mixte |
Qui gère les favelas ? La double gouvernance de Rocinha
L’une des questions les plus fascinantes concernant Rocinha concerne sa gouvernance. Notre expérience nous a permis de constater que deux autorités principales coexistent en tension permanente : la faction (actuellement le Comando Vermelho depuis 2017) et l’UPP (Unité de Police Pacificatrice). Cette dualité de pouvoir crée un équilibre fragile où la partie Ouest est davantage sous contrôle policier tandis que la partie Est reste le territoire privilégié de la faction.
Le Comando Vermelho, né dans les prisons pendant la dictature militaire brésilienne (1964-1985), joue un rôle complexe qui dépasse largement le simple contrôle du trafic de drogue. Nos discussions avec les habitants nous ont révélé que la faction remplit également des fonctions sociales essentielles :
- Établissement et application de règles locales (interdiction des vols, etc.)
- Financement de projets communautaires (crèches, associations)
- Organisation d’événements culturels comme les Bailes Funk
- Assistance financière aux habitants dans le besoin
- Médiation des conflits entre résidents

La politique de pacification, mise en place depuis 2011 avec l’installation d’UPP, a transformé la dynamique sécuritaire de Rocinha. Par contre, cette intervention a eu des conséquences inattendues, comme une gentrification partielle et l’augmentation significative des loyers. Les tensions entre police et faction restent palpables, et des incidents peuvent survenir, bien que la sécurité des visiteurs soit généralement assurée dans les zones touristiques.
Si vous envisagez de voyager au Brésil et visiter des favelas, sachez que la situation peut évoluer rapidement. Les informations sur la sécurité doivent être vérifiées peu avant votre visite, et l’accompagnement par un guide local reste indispensable.
La favela partida : impacts des politiques interventionnistes à Rocinha
Au fil des années, plusieurs programmes gouvernementaux ont transformé Rocinha. Le PAC (Programme d’Accélération de la Croissance) lancé en 2008 a permis la construction d’infrastructures significatives comme un complexe sportif, une bibliothèque et une clinique publique. Ces interventions, si elles ont amélioré certains aspects de la vie quotidienne, ont également fait l’objet de critiques.

Nos échanges avec les habitants ont révélé une frustration concernant l’orientation de ces projets, souvent accusés de privilégier l’esthétique visible depuis l’extérieur plutôt que l’amélioration des conditions de vie fondamentales. Cette approche descendante, sans véritable consultation de la population sur ses besoins réels, a renforcé les inégalités internes à la favela.
Les effets de ces politiques interventionnistes rappellent étrangement les dynamiques observées dans d’autres grandes métropoles brésiliennes comme São Paulo, où les inégalités socio-territoriales structurent profondément l’espace urbain. À Rocinha, ces interventions ont paradoxalement introduit la logique de ségrégation urbaine à l’intérieur même de la favela, créant cette « favela partida » où coexistent deux réalités distinctes.
La vie culturelle de Rocinha résiste néanmoins à ces transformations. Lors de notre visite, nous avons été impressionnés par la richesse des expressions artistiques locales, notamment autour de la funk brésilienne. Cette musique emblématique des favelas continue de réunir la communauté, bien que les Bailes Funk aient été progressivement déplacés vers l’Est, illustrant la reconfiguration spatiale des pratiques culturelles sous l’effet des politiques publiques.
- Amélioration des infrastructures dans certaines zones
- Renforcement des inégalités internes à la favela
- Gentrification partielle et augmentation du coût de la vie
- Affaiblissement relatif de l’esprit communautaire traditionnel
Ces dynamiques complexes font de Rocinha un microcosme passionnant des transformations urbaines brésiliennes, entre intégration et exclusion, entre reconnaissance et contrôle, entre tradition et modernité. Une visite qui, au-delà de l’expérience touristique, offre une lecture profonde des enjeux sociaux contemporains du Brésil.