En parcourant les vastes étendues agricoles du Brésil lors de nos nombreux voyages, nous avons été frappés par l’incroyable transformation de ce pays en véritable puissance agricole mondiale. Les paysages impressionnants du Cerrado, autrefois considérés comme improductifs, sont aujourd’hui couverts d’immenses champs de soja à perte de vue. Cette métamorphose n’est pas le fruit du hasard mais résulte d’une stratégie nationale ambitieuse que nous vous proposons de découvrir.
L’expansion territoriale et les innovations technologiques brésiliennes
Le Brésil s’est imposé comme la troisième puissance agricole mondiale grâce à une combinaison stratégique d’expansion territoriale et d’innovations techniques. Lors de notre dernier séjour dans la région du MATOPIBA (Maranhão, Tocantins, Piauí et Bahia), nous avons constaté l’ampleur impressionnante de l’avancée de la frontière agricole. Entre 2007 et 2019, près de 22 millions d’hectares ont été incorporés à l’agriculture, dont 9,2 millions en Amazonie et 12,9 millions dans le Cerrado.
Cette conquête de nouveaux territoires s’est accélérée depuis les années 1970, notamment dans les régions Norte et Centro-Oeste. Le développement des infrastructures a désenclavé des zones auparavant inaccessibles, permettant leur exploitation agricole intensive. L’amélioration des routes et des installations logistiques que nous avons empruntées lors de notre road trip à travers le Centre-Ouest témoigne de cet effort national.
Parallèlement à cette expansion territoriale, les avancées technologiques ont révolutionné l’agriculture brésilienne. L’Empresa Brasileira de Pesquisa Agropecuária (EMBRAPA) a joué un rôle déterminant dans cette transformation. Ses recherches ont permis de développer des variétés adaptées aux conditions climatiques particulières du Brésil, notamment dans le Cerrado, cette savane tropicale que nous avons traversée et qui couvre près d’un quart du territoire national.
La mécanisation intensive, les techniques de génie génétique et l’utilisation massive d’intrants chimiques constituent le triptyque technologique qui a propulsé l’agriculture brésilienne. Nous avons été impressionnés par le niveau de technicité des exploitations visitées dans l’État du Mato Grosso, où des drones surveillent les cultures et où la précision des semis et des traitements relève presque de l’horlogerie suisse.
Période | Zones défrichées | Principal usage |
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2007-2019 | 9,2 millions d’hectares | Amazonie – principalement élevage bovin |
2007-2019 | 12,9 millions d’hectares | Cerrado – principalement soja et maïs |
Dont 2007-2019 | 7,3 millions d’hectares | Région MATOPIBA – cultures intensives |
Des productions diversifiées pour une domination mondiale
En goûtant aux délicieux cafés brésiliens lors de nos escapades dans les régions productrices du Minas Gerais, nous avons pris conscience que nous dégustions le produit du premier exportateur mondial. Cette position dominante ne se limite pas au café : le Brésil est également le premier exportateur mondial de viande de poulet et de sucre, et occupe la seconde place pour le maïs et la viande bovine.
La diversité des écosystèmes brésiliens permet une production agricole extrêmement variée. Sur les 851 millions d’hectares que compte le pays, 351 millions appartiennent à des exploitations agricoles. Parmi ceux-ci, 63,5 millions sont consacrés à l’agriculture et 159,4 millions aux pâturages. Le potentiel d’expansion reste considérable puisque seulement 8% de la superficie totale du pays est actuellement cultivée.
Le soja constitue la pierre angulaire de l’agriculture brésilienne moderne. Entre 2006 et 2017, sa superficie de culture a augmenté de 72,6% pour atteindre 30,9 millions d’hectares. Les projections prévoient une croissance supplémentaire de 44,3% entre 2019 et 2029. Le maïs et la canne à sucre complètent ce trio de tête avec respectivement 17,2 et 10 millions d’hectares cultivés.
Les productions animales connaissent également une croissance fulgurante :
- Volaille : 13,6 millions de tonnes en 2019, avec une progression prévue de 26,6% d’ici 2029
- Viande porcine : 3,9 millions de tonnes en 2019, projection à 5,1 millions de tonnes en 2029 (+28,2%)
- Viande bovine : 10,2 millions de tonnes en 2019, prévision de 12,6 millions en 2029 (+23,3%)
- Production laitière : augmentation de 46,6% entre 2006 et 2017

Les défis d’une puissance agricole en plein essor
Malgré ce tableau impressionnant, notre immersion dans la réalité brésilienne nous a révélé les paradoxes de ce modèle agricole. En partageant des repas avec des familles locales dans différentes régions, nous avons été confrontés à une réalité troublante : alors que le Brésil nourrit une partie du monde, près de 44 millions de Brésiliens ne mangent pas à leur faim, et 6,5% de la population souffre de sous-nutrition.
Cette contradiction s’explique en partie par les inégalités structurelles du secteur agricole. L’agriculture brésilienne est divisée entre deux modèles : l’agriculture familiale, qui représente 76,8% des exploitations mais ne détient que 23% des terres, et l’agrobusiness capitaliste. La concentration foncière est particulièrement marquée : en 2017, les exploitations de plus de 200 hectares ne représentaient que 9,3% du nombre total d’exploitations mais possédaient 79,5% des terres agricoles.

Lors de nos excursions en Amazonie et dans le Cerrado, nous avons été témoins des conséquences environnementales préoccupantes de cette expansion agricole. La déforestation progresse à un rythme alarmant, principalement pour l’élevage bovin en Amazonie et les cultures de soja dans le Cerrado. Le Brésil consomme à lui seul 20% des pesticides commercialisés dans le monde, avec des impacts majeurs sur la biodiversité et la santé des populations locales.
Le modèle économique brésilien présente également des fragilités. Le pays dépend fortement de ses exportations agricoles pour équilibrer sa balance commerciale. Cette dépendance s’étend aux intrants, puisque le Brésil importe 83,1% de ses engrais chimiques. Cette vulnérabilité s’est manifestée pendant la pandémie et lors des récentes perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales, démontrant les limites d’un modèle agricole intensif tourné vers l’exportation.
Nos conversations avec des agriculteurs familiaux nous ont permis de comprendre que les ressources publiques bénéficient principalement à l’agrobusiness. Sur les 251 milliards de reais du Plano Safra 2021/2022, seulement 15,66% sont destinés à l’agriculture familiale, perpétuant ainsi les inégalités historiques du monde rural brésilien.