Nous avons découvert la capoeira lors de nos voyages au Brésil et avons été immédiatement captivés par cette fusion unique entre danse et art martial. Pendant nos séjours répétés à Salvador de Bahia, nous avons eu l’opportunité d’analyser les différentes facettes de cette pratique culturelle fascinante. L’une des caractéristiques les plus distinctives de la capoeira est son accompagnement musical, qui varie selon les styles. Aujourd’hui, nous vous présentons les instruments essentiels qui rythment les rodas de capoeira Angola et Régional.
Les origines africaines des instruments de capoeira
Née dans le contexte de l’esclavage au Brésil, la capoeira représente un héritage culturel profond des peuples africains déplacés. Pendant nos recherches à travers le Brésil, nous avons découvert que cette pratique combinait astucieusement mouvements martiaux et expression artistique, permettant aux esclaves de s’entraîner au combat tout en donnant l’impression de danser. Cette double nature servait de camouflage face aux maîtres esclavagistes, qui percevaient souvent ces rassemblements comme de simples divertissements.
Au fil du temps, deux écoles principales ont émergé : la capoeira Angola, plus traditionnelle et proche des racines africaines, et la capoeira Régional, plus dynamique et structurée. Chacune possède son propre ensemble d’instruments, appelé bateria, qui définit son identité sonore et rythmique.
Les instruments utilisés dans la capoeira proviennent majoritairement d’Afrique, notamment des régions correspondant à l’Angola actuel. En voyageant à travers différents pays africains, nous avons observé des instruments similaires encore utilisés aujourd’hui dans certaines traditions locales. La transmission de ces instruments au Brésil s’est faite par les voies douloureuses de la traite négrière, principalement via le port de Luanda, expliquant pourquoi tous les esclaves étaient souvent désignés comme « Noirs d’Angola », indépendamment de leurs origines précises.
Le berimbau et les instruments principaux de la capoeira
Le berimbau représente incontestablement l’âme musicale de la capoeira. Lors de notre immersion dans les académies de Salvador, nous avons appris que cet instrument en forme d’arc avec une unique corde métallique détermine le rythme et le style du jeu. Dans une roda traditionnelle, trois berimbaus de différentes tailles coexistent : le gunga (grave), le medio (médium) et le viola (aigu), chacun jouant un rôle spécifique dans la construction mélodique.
Originaire des peuples Kambas d’Afrique, le berimbau produit différentes notes grâce à une calebasse fixée à l’extrémité de l’arc, servant de caisse de résonance. On retrouve des instruments similaires dans tout l’océan Indien, du bobre réunionnais au jejylava malgache, témoignant de sa large diffusion.
Instrument | Origine | Fonction dans la capoeira |
---|---|---|
Berimbau | Afrique (peuples Kambas) | Instrument principal, donne le rythme et définit le style de jeu |
Pandeiro | Portugal (dérivé du tar arabo-andalou) | Maintient le tempo et enrichit la texture rythmique |
Atabaque | Afrique | Apporte profondeur et puissance à l’ensemble musical |
Agogô | Afrique (culture nagô) | Marque le tempo et ajoute des accents rythmiques |
Reco-reco | Afrique | Enrichit la texture sonore avec son son raclé distinctif |
Le pandeiro constitue également un instrument fondamental dans les rodas de capoeira. Ce tambourin muni de cymbalettes métalliques produit une richesse sonore impressionnante. Nous avons eu la chance d’assister à des démonstrations de virtuoses du pandeiro, capables de reproduire tous les éléments d’une section rythmique complète avec ce seul instrument. Introduit au Brésil par les Portugais mais inspiré du tar arabo-andalou, le pandeiro illustre parfaitement le métissage culturel caractéristique de la capoeira.
Différences instrumentales entre capoeira Angola et Régional
La capoeira Angola, formalisée par Maître Pastinha vers 1940, conserve l’essence traditionnelle de cet art martial. À travers nos participations à diverses rodas, nous avons constaté que son jeu plus lent et malicieux s’accompagne d’une bateria complète de huit instruments. Cette formation musicale riche comprend :
- Trois berimbaus (gunga, medio et viola) formant la base mélodique
- Deux pandeiros apportant un soutien rythmique complexe
- Un atabaque (tambour conique) pour la profondeur sonore
- Un agogô (double cloche métallique) marquant le tempo
- Un reco-reco (racleur en bois) complétant la texture rythmique

À l’inverse, la capoeira Régional, développée par Maître Bimba dans les années 1930, présente une approche plus dynamique et athlétique. Sa configuration instrumentale originelle était volontairement simplifiée, comportant uniquement un berimbau et deux pandeiros. Cette épuration reflétait la volonté de Bimba de moderniser et de structurer l’apprentissage de la capoeira, en créant une méthodologie progressive avec des séquences codifiées.
Aujourd’hui, certains groupes de capoeira Régional adoptent une formation intermédiaire comprenant trois berimbaus, deux pandeiros et un atabaque. Lors de nos observations dans différentes académies au Brésil et en Europe, nous avons remarqué cette évolution qui témoigne de l’influence mutuelle entre les deux styles, tout en préservant leurs caractéristiques distinctives :
- La capoeira Angola privilégie un jeu près du sol, ritualisé et avec une bateria complète
- La capoeira Régional se démarque par des mouvements plus aériens, rapides et une instrumentation plus légère
- Les techniques de jeu instrumental varient également entre les deux styles
- L’importance rituelle accordée aux instruments diffère, l’Angola maintenant une tradition plus cérémonielle
- La hiérarchie entre musiciens reflète les structures sociales distinctes des deux écoles

L’harmonie musicale au cœur de la roda
Ce qui nous a particulièrement marqués lors de nos immersions dans l’univers de la capoeira, c’est l’interdépendance entre musique et mouvement. Dans une roda traditionnelle, les instruments ne sont jamais joués de manière isolée mais forment un ensemble cohérent où chaque élément répond aux autres. Le berimbau reste toujours l’instrument dominant, déterminant le type de jeu et son intensité.
L’atabaque, ce tambour conique fait de bandes de bois exotique, apporte une profondeur rythmique essentielle. Fabriqué selon des techniques rappelant les tonneaux européens avec une peau de bœuf tendue au sommet, il accompagne les berimbaus sans jamais les dominer. Pendant nos séjours à Bahia, nous avons observé la grande déférence accordée à cet instrument, qui occupe une place privilégiée dans les rituels afro-brésiliens.
L’agogô (du nagô « akokô » signifiant « temps ») et le reco-reco complètent cette symphonie, ajoutant respectivement des accents métalliques et des sons raclés caractéristiques. La synchronisation parfaite de ces instruments crée l’atmosphère unique des rodas de capoeira, guidant les joueurs dans leurs échanges physiques. Comme nous l’avons expérimenté, cette musique n’est pas un simple accompagnement mais une composante fondamentale qui influence directement l’énergie et le style du jeu.